[Récit] La guerre à regret

[Hermès]

Une élégante ombre elfique marchait doucement, à pas réguliers mais prudents entre les arbres de Nyr Hibernia. Il arrêta devant une arche d'arbres bizarrement pliés, et il n'eut besoin que de fermer les yeux en silence et y marcher pour y disparaître complètement, se retrouvant dans une parcelle de forêt enchantée, à l'abris des regards indiscrets.

D'autres gens comme lui, tout habillés de verts, une broche d'argent en forme de feuille, étaient dans la petite clairière de boisé, autour d'un feu, en train de se communiquer par un langage des signes fort complexe et presque trop rapide pour qu'un oeil normal ne puisse suivre les mouvements de doigts des êtres qui communiquaient.

D'autres étaient en train de s'entraîner entre eux, un peu plus loin, aux armes de corps à corps et de jet, avant que l'elfe ne fasse son apparition. À cette entrée, tous le regardèrent et le silence qui n'était entrecoupé que par les lames qui s'entrechoquait devint total. Tous se rassemblèrent autour du feu, saluant respectueusement l'elfe lorsqu'il se présenta devant eux. Ils semblaient tous attendre quelque chose, certains les yeux pétillants, d'autres plein d'espoir, d'autres plus inquiets. Au total, ils devaient être environ une quinzaine. Avant qu'il ne s'assoie, une elfe qui ressemblait étrangement au nouvel arrivant s'approcha de lui, et lui fit une accolade de bienvenue, manifestant son bonheur de le voir.

L'elfe déposa son arsenal antique par terre, resta debout, et par un geste familier de la main, convia les autres à s'asseoir. Il commença à bouger les mains et les doigts avec une habileté extrême, et c'est ainsi qu'une conversation de muets s'entama.

SANADOR: Mes frères, mes soeurs, mes amis. Je suis heureux de tous vous savoir ici, en bonne condition. Je n'ai que de mauvaises nouvelles à rapporter. Les rumeurs dont Zygshinveld nous avait mis au courant sont malheureusement vraies. Les Drow sont effectivement revenus. Vous n'avez peut-être pas tous l'âge pour les avoir rencontrés en personne à une époque où ils étaient un peuple bon, mais vous en avez déjà tous entendu parler autour du feu.

ÉLISTANIA: Je leur ai parlé plus d'une fois dans le passé, et ils m'avaient semblé sages, et sûr d'eux-mêmes. Ce qui leur est arrivé n'aurait pas dû se passer, mais nous prenons sur nous le blâme autant que les autres, pour n'avoir point réagit.

OKLOS: Je me rappelle d'eux, j'en avais vu plusieurs de loin, mais je n'avais réellement eu de conversation avec eux. Les rumeurs sont tout ce qui m'est parvenu, mais je n'ai pas laissé ces calomnies emporter mon jugement.

KAYLA: J'ai déjà été ami avec l'un d'entre eux. Ils ne méritaient effectivement pas ce qu'ils ont eu. Portons le fardeau, portons le poids des erreurs de notre passé sur nos épaules.

OLVARETH: Comme les Feuilles Argentées l'ont toujours fait. Que devons-nous faire à partir de ce moment?

EMERESH: Laissez Sanador terminer. Il en a probablement davantage à nous dire.

SANADOR: Effectivement. Je serai bref. Ils sont hostiles à toutes les races présentes à l'époque, et les jugent coupables de les avoir fait souffrir tout ce temps. Ils auraient manifestement passé ces quelques milliers d'années sous terre, et y ont survécu. Je les ai rencontrés, leur ai parlé, et me suis rendu compte, malheureusement, qu'ils sont irrécupérables.

Les hiberniens se regardèrent tous un bref instant, une vague de peine par parcourant visiblement, et ils se retournèrent vers Sanador de nouveau.

EMERESH: Les combattre?

SANADOR: Effectivement. J'ai déjà eu l'occasion de me mesurer à eux.

Tous regardèrent Sanador intensément, attendant une suite à cette étonnante affirmation.

SANADOR: Ils sont à la hauteur des rumeurs qui courent à leur sujet. La protection des habitants de ces terres, et particulièrement les hiberniens, reste évidemment notre priorité. Si les Drow sont seuls dans un coin où ils ne trament rien, ne font rien, ne peuvent -potentiellement- nuire à personne, laissez-les. Il convient de leur faire comprendre qu'ils ont une place dans ce monde, mais que les autres races ont également la leur, et que la coexistence est possible.

ÉLISTANIA: La violence est-elle la seule solution viable?

SANADOR: Ils ne comprendront rien d'autre, selon plusieurs témoignages et ma triste expérience personelle. Sanador fit une pause avant de continuer, sur un air un peu plus hésitant. Des mortels les suivent. Ils les aident en tous points... et nous devront les arrêter également. Bien que cela ne soit pas dans nos plans, dans nos aspirations et nos buts, il faudra en venir à bout tout de même. Toutefois... si vous avez l'occasion de disposer des Drow sans tuer ou même blesser leurs suivants, c'est évidemment la solution la plus souhaitable.

Un vent de regret passa ostensiblement parmi les Feuilles Argentées à cette annonce. Emeresh, toujours aussi solide et discipliné, fut le premier à bouger à nouveau après cette nouvelle.

EMERESH: D'autres recommandations, Feuille Sage?

SANADOR: Emeresh, j'aimerais que tes talents nous servent à nouveau. J'ai rapporté une mèche de cheveux de l'un d'entre eux. J'ignore si ça sera suffisant, mais j'aimerais que nous puissions bénéficier d'un talisman qui puisse au moins nous avertir d'un danger Drow environnant. J'aimerais également, dans la mesure du possible, des bottes ou des sandales pour tous, qui puisse permettre une agilité et une vitesse accrue. Ils sont rapides, et se tiennent en groupe, nous en auront besoin.

EMERESH: Je ferai mon possible.

SANADOR: Olvareth, passe nos armes en révision, et assures-toi qu'elles ne puissent pas être brisées. Le métal des armes des Drow est particulier, je n'ai pas eu le temps de voir, mais la sensation du métal croisé n'a pas été agréable. Kayla, il nous faudra une quantité de flèches spirituelles assez incroyable. Que l'entraînement ne relâche point. Surveillez vos arrières plus que jamais. Gardez-vous près des villes si vous avez besoin de répit. Certains habitants semblent être disposés à offrir de l'aide pour les repousser. Mais comme à l'habitude, ne leur faites appel qu'en dernier recours. Nous ne voulons pas de mort inutile.

ALADRIAM: On se croirait en guerre, Sanador.

Sanador soupira doucement en regardant son frère, avant de lui exprimer:

SANADOR: Nous sommes en guerre, mon frère. Nous le sommes.

[Hermès]

Un immense hunt salua amicalement le passage de Sanador au plus profond de Nyr Hibernia. Ce dernier fit une révérence respectueuse à l'ancienne créature. Le hunt, lentement, fit quelques pas qui résonnèrent de loin, et commença à parler lentement, comme c'était l'habitude de tous les hunt.

HUNT ANCIEN: Sanador, je suis heureux de te voir. Comment vas-tu?

Sanador regardait le hunt de sa minuscule taille, et se mit à bouger ses mains et ses doigts à une vitesse moyenne, pour que le hunt comprenne. La plupart des créatures magiques de Nyr Hibernia, surtout les anciennes, avaient appris à lire le langage des Feuilles Argentées.

SANADOR: Les nouvelles ne sont pas mauvaises, mais plutôt tristes. Je m'en retourne pour informer les autres, et surveiller l'entraînement de notre nouveau frère.

HUNT ANCIEN: Oui... le celte. Je m'en rappelle. Il se débrouille bien, je suppose?

SANADOR: Un peu comme tous les celtes qui ont joint les Feuilles Argentées... ses premiers jours ont été difficiles, l'entraînement encore davantage, mais son adaptabilité est telle que son apprentissage en est grandement favorisé. Kayla fait en sorte qu'il garde le moral, et Élistania fait toujours en sorte de le guérir si jamais il a un problème.

HUNT ANCIEN: Tant mieux. Sur ce, mon ami, je ne te dérange pas plus longtemps... je sais que mon rythme n'est pas du tout le tien. Nous nous reparlerons bientôt.

L'elfe fit à nouveau une révérence envers le gardien ancien des terres sacrées d'Hibernia, et se dirigea bon train vers l'arche d'arbres géants, dans laquelle il passa en fermant les yeux.

Les hiberniens présents furent heureux de voir Sanador arriver, et un à un, vinrent lui faire une accolade. Ils se saluèrent silencieusement. Seules deux des Feuilles ne vinrent pas à sa rencontre, et c'était parce qu'elles étaient en plein entraînement. Varwyn, et la jeune recrue celte étaient en train de se pratiquer, toujours, comme durant les derniers mois. Varwyn était de loin le plus rapide après Sanador, et avant tout, il avait été question que la jeune Feuille apprenne à éviter les coups et à mieux les encaisser. Sanador s'approcha, les regarda faire quelques instants, remarquant les net progrès de la recrue, et leur fit ensuite signe d'arrêter quelques instants et de s'approcher des autres.

Sanador leur fit un bref signe, et leur demanda de s'approcher du feu que Tirolan venait d'allumer. Des feux follet se lèverent à s'approche des Feuilles Argentées et se mirent à virevolter au dessus de leurs têtes, les accompagnant jusqu'aux tas de feuilles éternellement fraîches qui faisait office de siège et de lit pour tous les hiberniens de l'endroit.

Tous parlaient particulièrement du nouvel arrivant, de ses changements, de ses techniques de combat, de son apprentissage de la "langue" des Feuilles Argentées. Ça faisait déjà 600 ans depuis la dernière nouvelle Feuille, il y avait de quoi là réveiller la joie de plusieurs. Sanador fit toutefois demander le calme d'un lent mouvement de main, ce qui fut obtenu de suite. Il afficha un regard plus sérieux, mais pas sévère; il ne l'avait jamais été. Il leva les mains, et se mit à bouger les doigts un cran plus lentement qu'à l'habitude pour que le celte puisse comprendre et suivre la conversation.

SANADOR: Dépuis déjà un temps, j'observe. Vous savez que malgré le fait que nous avons comme mission, pour l'instant, d'éloigner les Drow des terres habitées, nous avions pris la décision de surveiller leurs suivants, sans devoir combattre, dans la mesure du possible. Les suivantes sont apparemment toutes de gent féminine, et au nombre de trois, l'une d'elle ayant décidé de renoncer à leur service.

TIROLAN: Toujours s'assurant que le feu durera un bon temps, plaçant méthodiquement et habilement ses bouts de branche, il mima entre deux branches.Il y a donc espoir, Sanador?

SANADOR: Les interactions sont nombreuses, et les relations complexes. Il ne fallait pas s'en attendre à moins en faisant des observations aussi systématiques.

Kayla, Aladriam et Oklos sortirent plume et encre, pour prendre en note ce que Sanador allait dire. Il avait toujours été question que plusieurs écrivent le même discours, car il avait été dit que les perceptions étaient différentes, et qu'avec trois versions du même discours par trois personnes, jamais aucun élément ne manquerait.

SANADOR: Sorsha, une celte, Gnigni une bretonne, et Nacha, une lurikeen. Allons-y systématiquement. Sorsha est clairement la plus zélée des trois, et manifestement la plus hostile. L'approcher sans aucune signe d'aggressivité s'est soldé par un assaut sur ma personne. Elle est constamment sur ses gardes et extrêmement méfiante. Elle est confiante et décidée. Gnigni, quant à elle, est d'une dévotion sans faille également, et davantage du style à se mêler à la foule pour prendre les informations et semer la zizanie dans les troupes adverses. Nacha, quant à elle, n'est pas encore aussi aguerrie que les deux premières, mais au même titre que les deux autres, est obéissante et fera tout ce que ses maîtres lui ordonnent de faire. Le fait qu'elle soit entrée plus récemment que les autres semblent lui offrir un bon contact avec des membres extérieurs à la communauté Drow.

Les notes que prenaient les trois Feuilles Argentées s'écrivaient pratiquement aussi rapidement que les mains de Sanador filaient devant leurs yeux. Comment ils pouvaient écrire et observer les mouvements de l'elfe était plutôt associé à l'habitude millénaire de l'application. Sanador attendit qu'elles aient terminé et continua, mais dans une direction toute autre.

SANADOR: Elles sont encore humaines. Non pas comme nous l'avions pensés, au cerveau complètement lavé, au contraire. Elles ont encore leur propre volonté, et plusieurs détails que j'ai pu remarquer. Systématiquement, à nouveau. Sorsha est protectrice de ceux qu'elle aime. Sorsha toutefois, est une femme dont le coeur aime d'autres femmes.

Quelques paires de yeux se posèrent doucement sur Élistania, dont l'air entendu laissait effectivement croire qu'elle était en paix avec cette partie d'elle-même à laquelle elle avait dû faire face il y a longtemps.

SANADOR: Effectivement, le phénomène ne nous est pas inconnu. Elle est ouvertement amoureuse d'une femme dont le nom est "Canelle". Toutefois, elle semble très proche de Gnigni, dont la forte amitié est réciproque. Il ne serait pas étonnant qu'éventuellement, quelque chose d'autre se développe. Ce n'est là qu'une possibilité, notez-le bien. Sorsha entretient également une amitié restreinte avec une femme du nom de Cocrilea. Elles ont manifestement déjà fait partie d'une même organisation ou confrérie dont Sorsha est partie et considérée comme traître. Je reviendrai sur ce point plus tard. Maintenant, Gnigni, comparativement à Sorsha, est beaucoup plus atteignable au niveau moral; elle semble souvent démoralisée recherche quelque chose qui pourra combler ce vide intérieur. Elle chercherait probablement même l'amour qu'elle a déjà connu, mais perdu. Comme je l'ai déjà mentionné, Sorshah se fait proche, mais rien n'est encore confirmé à ce niveau. Elle est également un cran plus craintive et plus hésitante que Sorsha. En dernier, Nacha, dont une courte discussion avec me révéla qu'elle est là par choix, mais elle semble davantage souffrir de ce choix plutôt que de l'assumer pleinement. Ça semble être un sacrifice pour une cause qui m'est toujours inconnue.

OLVARETH: Elles sont donc encore pleinement humaines? Elles ont des amours, des peines et des joies toujours...

ALADRIAM: Elles ont encore un coeur, frère. Elles n'ont pas encore été complètement recouvertes par l'ombre des Drow.

ÉLISTANIA: Il restait un point à couvrir, je crois, avant que l'on puisse entamer la discussion. Sanador?

SANADOR: Sorsha et Cocrilea, certes. Elles ont ce respect l'une pour l'autre, mais entretiennent une rivalité causée par leurs allégeances. Sorsha protège ceux qu'elle aime et ceux qui ont sa servitude. Cocrilea... a parlé d'un enfant dont beaucoup voudraient la mort, et le protègerais donc jusqu'au bout... les Drow voudraient possiblement de cet enfant. Je n'ose faire de déduction à ce sujet. Par contre... concernant Cocrilea, j'ai remarqué un détail.

Emeresh leva la main, et se mit à s'exprimer prestement, fournissant réponse avant même que la question ne soit posée.

EMERESH: C'est moi. Je me rappelle son nom. La fleur, l'arc. C'est l'une des deux femmes qui m'a aidé avec Renshu. J'ai légèrement rajusté le morceau de bois qu'elle avait en main, qu'elle soit en mesure de l'utiliser un peu mieux.

SANADOR: C'est donc une personne que je peux aller voir directement. Une bonne chose à savoir. Pour ce qui est des suivantes des Drow, le plan continue, étant donné les résultats... épargnez-les au possible, étant donné qu'elles ont encore leur pleine volonté et surtout... un coeur. Pour les Drow eux-mêmes, rien ne change non plus. D'ici là, occupons-nous de quelque chose de plus intéressant, et même de plus joyeux. Nous avons une recrue à entraîner. D'ailleurs... sais-tu écrire ton nom maintenant? Les runes anciennes sont complexes pour ceux qui n'y sont pas habitués.

Le celte, grâce à la plume qu'on venait tout juste de lui tendre, entreprit laborieusement l'écriture d'une longue série de runes. Décidément les runes symbolisant l'identité des gens étaient les plus longues. Le papier fut tendu aux Feuilles Argentées une par une, et elles acquiescèrent toutes l'une après l'autre, jusqu'à ce que le parchemin arrive à Sanador.

Le vieil elfe, perfectionniste jusqu'au bout, corrigea de légers détails sur les runes, des barres sont courtes ou trop longues, des courbes pas assez prononcées ou un peu trop, et réécrit le nom du celte avant de lui redonner le parchemin. Sur celui-ci, on lisait:

"D-a-r-k-p-e-p-p-e-r-E-l-r-o-s"